EXTRAIT DE "JOURNAL"/2000
13 novembre 2000 (Journal)
Tout tombe
Tout tombe. Tout finit par tomber. Un jour ou l'autre,
c'est ce qui arrive. La pluie tombe, les seins tombent, les feuilles
elles-mêmes, pourtant si gracieuses tout au long de l'été. En ronde monotone et
en tourbillonnant, certes.
N'empêche, tout tombe. Les seins tombent. C'est ce
moment-là que l'on choisit généralement pour tomber amoureuse, pour être
tombée pour le dire autrement... Et
ça, c'est bien embêtant.
Mais passons ! Car ce n'est pas tout. Le papier peint
se décolle des murs et tombe. Les miettes grisettes des volets tombent, que les
intempéries ont minées. Les hottes aspirantes s'y mettent aussi, se précipitant
- se ruant - sans crier gare vers la table de cuisson, juste un peu en dessous,
pour une étreinte aussi fracassante que fatale. Table de cuisson qui,
probablement, est la seule à ne pas se montrer stupéfaite, saisie. C'est normal
au fond : la hotte aspirante aspirait au sol irrésistiblement, elle aussi : une
envie comme ça, on la prend de tout son poids sans réfléchir, on s'incline,
point. La hotte, c'est, au demeurant, son droit le plus strict, comme à tout le
monde, comme à toute chose : ne dit-on pas "en ce bas monde"... Et ce monde-là, la hotte y aspire… le
prend au pied de la lettre. Qui donc pourrait lui en tenir rigueur ? Sa quête
première - et ultime - est là, pas ailleurs, n’en déplaise aux grands airs
quelle se donne...
Dès lors, seul le "demeurant", d'ailleurs,
tombe dans l'effroi. Mesurant, abasourdi mais derechef, le chapelet d'atrocités
auquel il a échappé. Alors, il s'en va consulter le chaman aux yeux bleus. Pour
qu'il lui lève le mauvais œil, celui qui regarde vers le bas, celui qui, depuis
la tombe regardait son frère, celui qui toujours toise, et enfonce. Peine
perdue. Car, chaman ou pas, tout tombe, tout : les feuilles, les seins, les
hottes aspirantes, etc. Ainsi de suite dans la grande ronde à peine
étourdissante des chutes. Toujours : les grives et palombes sous le plomb du
chasseur. Jadis : les poilus de quatorze sous le feu du teuton. Et un jour,
dans longtemps peut-être mais très sûrement, moi-même qui vous aime tant. Tout
choit. Absolument tout. On n'a pas le choix.
C'est l'entropie galopante, la gravitation gravissime,
la grande digestion maligne : d'où que l'on se tourne, l'affaire est sans
remède. Que faire dès lors ? Lever nos yeux éperdus vers le sourire de l'ange,
pardi ! Voilà tout ce que nous pouvons. Et encore... À condition de n'être pas
trop regardant sur le motif du sourire : l'ange se gausse-t-il ? Ou bien est-il
bouffi de compassion ? Pétri de tendresse ? On peut toujours s'interroger. À
l'infini. Mieux vaut sans doute, bien sûr, parier sur la tendresse...
Mais pendant ce temps, certitude certaine,
irrémédiablement, les seins tombent. Et, très lentement, aussi, les grands
glaciers qui, eux, fondent, fondent et fondent, dans une impulsion aussi têtue
qu'innocente, dans une extase un peu niaise, à vrai dire.
Succomber* : il n'y a que ça à faire !*Voir ce mot in : Dictionnaire Historique de la
Langue Française
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