samedi 6 février 2010

Il y aurait beaucoup à lire

Chic, un vieux papier retrouvé !
De l'époque où j'affabulais journalistiquette-ment.
Ici sur un type que j'aime et dont j'aime les livres.
Toujours, depuis le premier.
Et sans réserve encore.



Invité

Le cadeau du libraire
En écho à la programmation théâtrale, la librairie XXL invite ce mois-ci un grand et bel italien.

















Romans et récits autobiographiques, chroniques ou commentaires libres de la Bible - qu'il pratique en lecteur ardent et néanmoins athée... En dix livres, dont chacun est une véritable grâce, l'Italien De Luca s'est affirmé comme un magnifique écrivain. "Une fois un jour", qui inspire le spectacle présenté aux (scène nationale), est avant tout le récit d'une enfance, des joies et des regrets comme seule la vie sait en tricoter. Celui, aussi, de fragments marquants d'une vie adulte, passés au crible de la mémoire, celle d'une existence qui a fait son chemin : « L'enfance aurait bien pu durer éternellement, je ne m'en serais jamais lassé. »
Et : « Nous avons tous une grille dans un coin de notre mémoire, nous sommes tous restés au seuil d'un jardin.» (1)
.
Comme dans tous ses autres livres – de "Acide Arc-en-ciel", paru en France en 1994, jusqu'à "Trois chevaux", en 2001 - il s'agit ici, d'une écriture taillée comme dans la poudre des pierres, qui tire sa force de sa simplicité même, fruit d'un élagage sans pitié. Mais aussi d'un regard rare, qui s'attache au sensible, à l'intelligence et au mystère des choses et des rencontres, et qu'une pensée exigeante anime, une pensée à fleur de peau, à fleur de nerfs. Pour la petite histoire - mais aussi pour la grande, en somme - De Luca, cinquante ans, prit une part active et risquée aux actions extrêmes de l'ultra gauche italienne dans les années soixante-dix. Il fut, jusqu'à il y a très peu - par choix et obstinément - maçon de profession, accessoirement travailleur immigré, notamment en France, sur des chantiers à la revanche pénible... Cela, sans jamais cesser d'être - il convient d'insister - un authentique écrivain avant tout. Et lorsqu'il vient aujourd'hui à la rencontre de ses lecteurs, et que l'un d'eux entreprend de l'interroger sur ses "opinions politiques", Erri de Luca répond, d'une voix égale, aussi douce que tranquille et qu'exhausse la saveur d'un accent : «Je n'ai pas d'opinion, je n'ai que des sentiments politiques. Et ça, ça ne change pas, ça reste là : c'est comme les pierres des maisons qui, chez nous, abritent des fantômes».(2)
Il faut absolument venir écouter cet homme, le regarder. Et puis, bien sûr, le lire. Même sans modération, on n'y prendra pas un gramme de mauvaise chair.
Erri de Luca est très grand, très mince, très simple et très avenant. Et aussi... très "juste". C’est-à-dire au ras des flots et au sommet de la terre – il pratique l’alpinisme avec autant de muscle que d’esprit. Dans les réceptions/débats, il parle peu, attend son tour, mais c'est pour dire des choses essentielles. Le contraire des afféteries narcissiques et si "tendance" qui ont cours de nos jours dans le bisness éditorial et sur les plateaux des télévisions, même s'il s'y trouve pris. Du coup, il tranche, mais sans détonner : c'est très fort. Bref, qu'il s'agisse de l'homme, qu'il s'agisse des textes, il y a, disons, de l'âme et du corps. Une rébellion que l’on sent extrême, à vif, et cependant sans cesse contenue, comme « par politesse ».
En fait, de la vraie liberté, comme on en aimerait davantage, ou un peu plus souvent.

L'affabulette / Novembre 2001
(1)Une fois un jour - Éditions Rivages -1994 - Théâtre *** les 24 et 25 janvier.
(2) Marseille/septembre 2000.

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